Interview de M. Eric REMY (enseignant chercheur - IAE de Rouen)
Le 20 avril dernier, la FNEGE à récompensé les meilleurs ouvrages des enseignants chercheurs en management lors de la cérémonie de Remise des Prix des Meilleurs Ouvrage et Thèses en Management. Un enseignant de l’IAE a été récompenser lors de cette cérémonie et a bien voulu nous consacrer de son temps afin de répondre à nos questions portant sur son livre et de sa place au sein de l’IAE.
Éric Remy, référent recherche en tant que directeur du NIMEC et le coauteur des 2 tomes de Regards croisés a été récompensé pour ces ouvrages par le prix EFMD FNEGE 2016 du meilleur ouvrage en management dans la catégorie ouvrage collectif de recherche.
Combien d’ouvrage avez-vous écrit et depuis quand écrivez-vous ?
J’ai coordonné un ouvrage (avec les professeurs Marc Filser et Dominique Desjeux) dès mon début de carrière (2003) autour de la place de la consommation dans la société à la suite d’un colloque que nous organisons sur la Normandie depuis 2002 (les Journées Normandes de Recherches sur la Consommation qui regroupe une soixantaine de chercheur tous les ans sur le marketing et la consommation).
Les deux tomes de Regards Croisés, objets du prix (coordonnés avec mon collègue le professeur Philippe Robert-Demontrond) sont plus récents (2015 et 2016). Néanmoins nous en avons commencé l’écriture fin 2013 ; les temps de la recherche, de l’écriture et de l’édition sont des temps longs…
Au-delà de ces projets, j’ai eu le plaisir de contribuer à des ouvrages avec l'écriture de chapitres particuliers ; comme par exemple dans le cadre du marketing sensoriel du point de vente, la consommation régionale, les hommes qui font les courses, la distribution sous un angle culturel et plus récemment la consommation populaire.
Il faut également savoir, que dans notre discipline la production de connaissances scientifiques est prioritairement développée via des revues sous forme d’articles (même si la FNEGE a justement mis en place des systèmes de labélisation et de prix sur les ouvrages en sciences de gestion). Pour les articles aussi les temps de la réflexion, de la lecture, du terrain, de l’analyse, de la maturation et de l’écriture sont longs. A cela s’ajoute des processus d’évaluation (nos articles sont évalués par 2 à 4 lecteurs anonymes) qui prennent également souvent plusieurs mois.
Pouvez-vous nous résumer votre ouvrage ?
Il s’agit de convoquer des grands auteurs des Sciences Humaines et Sociales (S.H.S.) afin de voir en quoi ils peuvent nous aider à comprendre les phénomènes de consommation contemporains. Au total nous avons ainsi mobilisé la pensée de plus d’une vingtaine de grands sociologues, philosophes, anthropologues, psychologues, qui ont marqués l’histoire de la science.
Cela nous permet in fine d’avoir des éléments de réponse par ces auteurs à des questions centrales dans notre société. Par exemple, la question de la construction de l’identité ; où l'on voit que la consommation (au-delà de la production) est de plus en plus au fondement de la construction des identités. Autre illustration la question de la liberté ou de la détermination des individus ; où il est question du choix et de l’aliénation à la société de consommation.
La question des formes d’échanges et d’organisation entre les hommes ; où il est question de mieux saisir les développements récents du bio, de l’équitable ou de l’ESS qui interrogent les frontières du marchand et du non-marchand. Dernier exemple la question du changement de société ; où il est question de savoir si nous assistons à l’émergence d’une nouvelle société et d’en analyser les ressorts (de moderne à postmoderne ou hypermoderne).
C’est par l’entrecroisement et la confrontation de ces positions que nous pouvons petit-à-petit avoir une vision plus juste de la société. On notera que ces questions touchent les autres domaines de la gestion (organisation, ressources humaines, management, contrôle de gestion etc.).
L’ensemble donne une représentation des mouvements de la pensée en SHS. Pour synthétiser et au risque de trop simplifier, il y a de constant basculements et échanges entre les penseurs qui mettent avant l’individu (sa liberté et la question du sujet), ceux qui mettent en avant les structures (son déterminisme et la question de l’objectivation) et enfin ceux qui partent plus des situations et des objets (approche dite pragmatique).
Ce livre a-t-il été écrit dans un contexte particulier ?
Oui, puisque nous avions un double objectif répondant à une double tendance actuelle, la primauté pour la nouveauté et pour les travaux anglo-saxons. Pour cela nous avons donc proposer d’abord de relire des classiques de notre domaine (les sciences de gestion sont dans les sciences humaines et sociales et donc inscrites dans cette histoire de la pensée).
A ce niveau il y a quelque chose comme "un retour aux fondamentaux" dans notre démarche ; à une époque marquée par l’accélération constante de notre rapport au temps (lire par exemple Hartmut Rosa - Aliénation et accélération). L’autre objectif fort est de se réapproprier la pensée française. Nous avons à ce niveau fait le choix de ne mobiliser que des grands auteurs français.
Il y a en effet quelque paradoxe à voir ces différents auteurs mondialement cités et reconnus par les anglo-saxons qui s’en servent comme base (il faut savoir que parmi les auteurs les plus cités au monde on trouve Foucault, Bourdieu, Derrida, Sartre et plus récemment Latour…) alors même qu’ils ne sont pas forcément lus en France par nos collègues et doctorants et connus des étudiants. En quelque sorte nous voulions nous réapproprier et mettre en valeur ce qu’il faut voir comme un véritable patrimoine national !
Avez-vous des « rituels » en tant qu’enseignant chercheur (des plages de travail concerné pour l’écritures de vos ouvrages, des horaires de cours adapté …)
Je n’ai pas forcément d’horaires adaptés entre la pédagogie, l’administratif et la recherche. En ce qui me concerne, cela dépend plutôt des périodes (parfois plus marquées par la pédagogie ou de l’administratif) et des projets de recherche. En ce moment par exemple où j’effectue une recherche intervention il faut prendre le temps systématique de notes de terrain et de restitution pour « stocker » des données.
Parallèlement il faut trouver le temps de lecture sur des concepts et théories que l’on pressent intéressants. Cependant l’organisation en rituels est malheureusement compliquée et l’on peut envier des personnalités comme Paul Ricoeur qui tous les jours, lisait le matin et écrivait l’après-midi…
Quelle est votre place au sein de l’IAE et aimez-vous y travailler ?
Au niveau de l’IAE je suis le référent « recherche » en tant que directeur du NIMEC (laboratoire des sciences de gestion des universités de Rouen, Caen et Le Havre). C’est une responsabilité particulièrement intéressante et passionnante. Il s’agit entre autres, de former des doctorants, d’organiser des séminaires de recherche, de coordonner des actions et de constituer des collectifs de chercheurs sur des thématiques identifiées, de défendre et représenter notre discipline auprès des instances universitaires, de monter des projets de recherche…
La recherche occupe une place essentielle dans la formation universitaire et plus spécifiquement encore au sein des IAE. Notre métier d’enseignant-chercheur consiste en effet à produire de la connaissance scientifique (donc soumise à évaluation spécifique) et à la traduire, la diffuser dans nos cours. L’objectif historique de nos universités étant que nos étudiants aient très rapidement accès à la meilleure connaissance possible.
Notre participation à des colloques, soutenance de thèse ou HDR, l’écriture d’articles ouvrages ou chapitres ou la direction de thèse pour certains ; sont des phases essentielles de notre travail. On pourrait les apparenter à de la formation continue et c’est pourquoi nous avons moins d’heures d’enseignements. D’où un adossement de toutes nos formations à la recherche. C’est là un gage de qualité de nos enseignements (repris dans la certification Qualicert) en même temps qu’un moyen fort pour marquer notre identité universitaire. Le réseau des IAE place d’ailleurs la recherche dans l’ADN et les valeurs communes de notre offre de formation.
Qu’est-ce qu’on ressent lorsque l’on est récompensé pour un travail auquel on a consacré beaucoup de temps ?
On ressent beaucoup d’émotions. L’écriture et la coordination d’un tel ouvrage demande beaucoup de temps et d’investissement. Pour de nombreux contributeurs souvent des sacrifices sur des périodes de vacances. Beaucoup de plaisir aussi car pour tous les auteurs qui ont fait des chapitres, la découverte de la pensée de grands auteurs et sa traduction en question plus contemporaines est passionnante.
Enfin, de la reconnaissance de la part de FNEGE (l’instance de référence en sciences de gestion qui regroupe toutes les associations de notre discipline) qui avec ce prix montre l’importance de placer notre discipline et la recherche en management au cœur de notre société.